L’invasion de la future Normandie (856-862)
Posté par sourcesmedievales le 4 juillet 2008
« Oui, à la lettre, cette cité fut fortifiée par le secours de Dieu et protégée par la garnison des anges, tant qu’elle conserva la loi et la justice, tant qu’elle eut les vertus pour richesse ; et aucun roi, aucun être humain, n’eût pu croire que l’ennemi extérieur ou intérieur y pénétrerait, car le Seigneur avait affermi les barres des portes de la Cité et lui avait assigné la paix pour frontière. Mais lorsque ceux que défendaient les bienfaits de Dieu se détournèrent de lui, la garde divine les abandonna et ils devinrent la proie de l’ennemi. Il en va de même de notre église, selon l’interprétation mystique : elle est pour ainsi dire déchirée en tous sens par les ennemis.
Qui eût jamais cru, qui eût jamais imaginé en nos contrées qu’en si peu de temps on serait accablé de malheurs que nous avons tous contemplés, pleurés, déplorés et grandement redoutés ? Et aujourd’hui même, nous ne redoutons pas moins que des pirates, assemblage de diverses bandes, atteignent le territoire de Paris et brûlent de tous côtés les églises du Christ voisines des rives de la Seine. Qui eût Jamais cru je vous prie, qu’un ramassis de brigands oserait de semblables entreprises ? Qui eût pu penser qu’un royaume si glorieux, si fortifié, si étendu, si peuple, si vigoureux, serait humilié, souillé de l’ordure de pareilles gens ? Qui eût pu croire que des êtres si vils oseraient, je ne dis pas lever d’énormes tributs, faire du butin, emmener des Chrétiens en captivité, mais simplement aborder en nos contrées ?
Non, je ne pense pas que, il y a peu d’années encore, aucun roi de la terre eût imaginé, aucun habitant de notre globe eût consenti à ouïr que l’étranger entrerait dans Paris. Aussi me convient-il moins de commenter Jérémie que de pleurer et de me lamenter, car, comme le verset suivant le fait connaître, ces malheurs multiples ont pour cause les péchés du peuple, l’iniquité des pasteurs et des grands.
C’est qu’en effet depuis longtemps et ouvertement, pour ainsi dire, les jugements des justes ne sont tenus pour rien ; le sang verse son propre sang ; tous en sont souillés et partout ils promènent tromperies et fourberies. C’est pourquoi ces versets réclament plutôt pleurs et lamentations que l’interprétation d’une dialectique éloquente. La recherche de la triple signification est inutile alors que la disgrâce et la ruine publique est unique. Aussi la douleur du coeur doit-elle se traduire, comme je le fais, par des cris et des gémissements, afin que de concert avec le prophète, nous puissions déplorer nos mauvaises actions. Dieu brandit son glaive, il en menace nos cous et la hache est au pied de l’arbre, car notre esprit est rebelle au bien. Telle est la raison pour laquelle sévit le glaive des barbares, glaive sorti du fourreau du Seigneur. Voilà pourquoi, misérables que nous sommes, nous vivons impuissants, en butte aux atrocités des païens, aux guerres de cruels concitoyens, aux brigandages des ravisseurs, aux séductions, aux fraudes, et pourtant chaque jour nous nous enflammons pour de plus grands crimes. »
Paschase Radbert, Expositio in lamentationes Jeremiae, Patrologie Latine, t. CXX, c. 220 ; trad. F. Lot, « La grande invasion normande de 856-862″, Bibliothèque de l’École des Chartes, t. LXXIX, 1908, p. 14-15.
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