Le siège et la prise de Constantinople (1453) 1/2

Posté par sourcesmedievales le 24 mai 2008

xvesiecle1.jpg« Le 22 avril [1453], le Seigneur Turc ayant fait réflexion et remarqué qu’il n’arrivait pas à nous faire grand dommage du côté de la terre, comme il venait d’en faire l’expérience, ayant roulé cela dans sa tête, imagina de faire passer une portion de sa flotte jusque dans le port même de Constantinople, et cela afin d’arriver plus vite à la réalisation de ses projets contre nous. Et afin que vous compreniez de quelle manière s’y prit ce chien, ce païen, je vous expliquerai ci-après son idée. S’étant mis en tête de conquérir Constantinople, il s’aperçut qu’il fallait pour cela que sa flotte parvint à l’intérieur du port même de cette ville. Comme toute son armada était mouillée aux Colonnes, qui sont éloignées de deux milles de la ville, il ordonna à tous les équipages de descendre à terre, et il fit aplanir une piste tout le long de la montagne qui domine Galata, en commençant du rivage du Bosphore, où était mouillée l’armada, jusque dans le port de Constantinople, c’est-à-dire sur une longueur de trois milles. Et quand tout le chemin eut été parfaitement aplani, les dits Turcs disposèrent un très grand nombre de rouleaux de bois tout le long de cette voie aplanie, lesquels rouleaux furent si bien graissés d’huile, de lard et de suif achetés en quantité aux Génois de Galata, que le sultan pensa pouvoir tenter de faire passer une partie de sa flotte dans le port de Constantinople.

Il fit en conséquence commencer par une « fuste » de petites dimensions et il la fit placer sur les dits rouleaux, et, au moyen d’une grande quantité de Turcs, il fit tirer la dite « fuste », et en peu de temps, il la fit passer très rapidement jusque dans le port de Péra, c’est-à-dire la Corne d’Or ; et quand les Turcs virent que cette invention allait à souhait, ils se mirent à tirer d’autres encore de ces « fustes » plus petites, lesquelles « fustes » étaient de quinze bancs de rameurs jusqu’à vingt, même jusqu’à vingt-deux. Certainement, à première vue, cela paraîtrait pour tout le monde incroyable et impossible, si le sultan n’avait pas eu à sa disposition tant de ces canailles pour tirer ces « fustes » par-dessus cette montagne ; car ils firent passer dans le port de Constantinople jusqu’à soixante-douze de ces navires, tous bien armés et en bon ordre pour toutes choses, et cela ne put se faire que parce que les Turcs vivaient en bonne paix avec les Génois de Péra.

Les équipages qui suivaient chacun de ces navires ne se possédaient plus de joie à ce spectacle et songeant à ce qui allait encore suivre, arrivés au faîte de la colline, montaient comme s’ils étaient sur mer dans les vaisseaux qui s’en allaient dévalant avec rapidité droit vers la Corne d’Or. Parmi les matelots, les uns défaisaient les voiles, poussant des cris de triomphe comme s’ils allaient prendre la haute mer, et le vent, s’emparant de celles-ci, les gonflait ; d’autres, assis aux bancs des rameurs, tenaient leurs rames en mains, faisant semblant de ramer, tandis que les subrécargues couraient d’une extrémité à l’autre de la longue et haute piste de bois, excitant l’énergie de leurs hommes par des sifflements, des cris, des coups de lanière aussi. Ainsi, les vaisseaux turcs, voyageurs étranges, glissaient à travers la campagne, comme s’ils eussent vogué sur mer. Tandis que les derniers escaladaient encore la rampe de la colline, les premiers descendaient déjà la pente raide conduisant à la Corne d’Or, toutes voiles serrées, avec grands cris et force tapage. Les tambours résonnaient.

Et c’était un étrange spectacle, vraiment incroyable pour celui qui n’y a pas assisté, que de voir naviguer à travers champs, comme s’ils étaient sur mer, ces vaisseaux avec toutes leurs voiles, tous leurs équipages, tous leurs armements. Moi, j’estime que cette prouesse a surpassé le Mont Athos percé par Xerxès, et comme j’ai vu ces choses de mes yeux, cela me porte à ajouter foi à d’autres récits qui, si je n’avais pas assisté à ce prodige, me paraîtraient des contes à dormir debout. »

Nicolo Barbaro, Giornale dell’assedio di Costantinopoli, éd. E. Cornet, Vienne, 1856, p. 28 ; tr. H. Vast, « Le siège et la prise de Constantinople par les Turcs d’après des documents nouveaux », Revue historique, t. 13, 1880, p. 33.

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