Les rois mérovingiens, l’impôt et l’armée
Posté par sourcesmedievales le 10 avril 2008
Ch. 29 – « […] Le roi Childebert rassemble une armée et s’apprête à se rendre avec elle en Italie pour attaquer les Lombards. Mais les Lombards, mis au courant, envoient des ambassadeurs avec des cadeaux pour dire : « soyons amis, ne périssons pas et versons un tribut fixe à ta puissance. Et partout où sera nécessaire, nous promettons de t’aider contre les ennemis ». En entendant cela, Childebert envoya des ambassadeurs au roi Gontran pour glisser dans ses oreilles ce que ceux-ci lui offraient. Ce dernier, qui n’était pas opposé à cet arrangement, conseilla de confirmer la paix. Le roi Childebert ordonna donc à l’armée de rester sur place et envoya des ambassadeurs aux Lombards, chargés de dire que, s’ils confirmaient ce qui avait été promis, l’armée rentrerait chez elle. Mais la promesse ne fut pas du tout tenue.
Ch. 30 – À la demande de l’évêque Marovée , le roi Childebert ordonna à ses responsables du cadastre, à savoir Florentin, maire du palais de la reine, et Romulf, comte de son propre palais, de se rendre à Poitiers pour que le peuple soit contraint de payer l’impôt qu’il versait du temps de son père selon des registres établis après une révision. En effet, beaucoup des habitants étaient décédés et, par suite, le poids du tribut était retombé sur des veuves, des orphelins et des impotents.
C’est ce qu’ils éclaircirent avec méthode ; dégrévant les pauvres et les infirmes, ils soumirent à l’impôt public ceux que leur condition désignait en toute justice comme imposables. Puis de là ils se transportèrent à Tours. Mais comme ils voulaient imposer à la population le paiement de l’impôt en prétendant qu’ils avaient entre les mains un registre d’après lequel elle le payait du temps des précédents rois, nous répondîmes en déclarant : « il est exact que la ville de Tours a été cadastrée du temps du roi Clotaire et que les registres ont été présentés au roi, mais le roi ayant été pris de repentir par crainte du saint prélat Martin, les registres ont été brûlés. Puis, après la mort du roi Clotaire , cette population a prêté serment au roi Caribert et celui-ci a aussi et semblablement promis et juré qu’il n’infligerait pas à la population de nouvelles lois ni de nouvelles coutumes mais qu’il la gouvernerait avec le même statut que celui avec lequel elle avait vécu sous le règne de son père et s’engagea à ne lui infliger aucune nouvelle révision. Mais Gaiso, qui était comte à cette époque, ayant pris la matrice que les fonctionnaires antérieurs avaient dressée, comme nous l’avons rappelé, se mit à exiger les impôts. Toutefois, il fut empêché par l’évêque Eufronius et, avec la petite somme qu’il avait perçue, il alla se présenter au roi pour lui montrer la matrice où étaient relevés les impôts. Mais le roi, soupirant et redoutant la vertu miraculeuse de saint Martin, le jeta au feu ; il remit les pièces d’or perçues à la basilique de saint Martin en affirmant solennellement que plus jamais personne de la population de Tours ne paierait un impôt au Trésor public. Après son décès, ce fut le roi Sigebert qui posséda la ville et ne la chargea du poids d’aucun impôt. De même le roi Childebert jusqu’à présent – XIIIe année depuis le décès de son père – , n’a rien exigé, et cette ville n’a pas eu à se plaindre d’être chargée du fardeau d’aucun impôt. Maintenant donc, c’est à votre autorité qu’il appartient d’établir un impôt ou non, ; mais veillez à ne pas commettre une faute si vous vous disposez à aller à l’encontre du serment de cet homme ». Après que j’eus dit ces choses, ils répondirent : « voici le registre où l’impôt est exigé de cette population ; nous l’avons dans les mains ». Je répliquai alors : « ce registre n’a pas été apporté du Trésor du roi et pendant bien des années il n’a pas été en vigueur. Il ne serait pas surprenant qu’en raison des discordes des habitants, il eût été mis en réserve dans la demeure de l’un d’eux. Dieu jugera ceux qui l’ont produit pour dépouiller nos concitoyens après que s’est écoulé un si long espace de temps ». Tandis que ces faits s’accomplissaient, le fils de cet Audin, qui avait produit ledit registre, fut saisi le jour même de la fièvre et il expira le troisième jour. Après cela nous envoyâmes des messagers au roi pour qu’il remette des instructions au sujet de ce qu’il aurait ordonné dans cette affaire. Mais immédiatement après, on nous envoya une lettre officielle pour que la population de Tours ne soit pas imposée par égard pour saint Martin. La question étant liquidée, les personnages qui nous avaient été envoyés pour la régler rentrèrent aussitôt dans leur patrie.
Ch. 31 – Le roi Gontran, quant à lui, envoya une armée contre la Septimanie. Le duc Austrovald s’était rendu avant elle à Carcassonne, avait reçu des serments et avait soumis ces populations à l’autorité royale. Le roi envoya Boson et Antestius s’emparer des autres cités. Boson avança d’un air vaniteux, tenant le duc Austrovald à l’écart et l’accusant d’avoir osé pénétrer dans Carcassonne sans lui. Lui-même marcha dans cette direction avec ceux de Saintes, de Périgueux et de Bordeaux, avec ceux aussi d’Agen et de Toulouse. Comme il progressait avec une telle jactance, les Goths, mis au courant, commencèrent à préparer des embuscades. Boson établit son camp sur une petite rivière à proximité de la ville , s’installe pour un banquet, sombre dans l’ivresse en chargeant les Goths d’injures et d’outrages. Ceux-ci se jettent sur l’ennemi qu’ils surprennent en plein festin. Les Francs donnent alors de la voix, se dressent contre les Goths qui résistent peu et simulent la fuite. Tandis qu’ils étaient poursuivis, ceux qui avaient tendu l’embuscade surgissent, encerclent les Francs et les massacrent jusqu’à leur extermination. Ceux qui purent s’échapper s’enfuirent difficilement en sautant sur leurs chevaux, abandonnant sur le champ de bataille tout leur matériel et leurs effets personnels, trop heureux d’avoir au moins sauvé leur vie. Pendant la poursuite, les Goths trouvèrent toutes leurs affaires et les pillèrent, emmenant en captivité tous les fantassins. Ils tuèrent là près de cinq mille hommes et firent plus de deux mille prisonniers ; cependant beaucoup d’entre eux furent relâchés et entrèrent dans leur patrie. »
Gregorri episcopi Turonensis libri historiarum decem, éd. B. Krush, W. Lewison, Hanovre, 1937-1951 (Monumenta Germaniae Historica. Scriptores rerum merovingicarum), IX, 29-31, p. 447-450. Traduction du latin et éd. par G. Brunel, E. Lalou (dir.), Sources d’histoire médiévale, IXe – milieu du XIVe siècle, Paris, 1992, p. 41-43.
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