La Jacquerie, révolte paysanne d’après Jean Le Bel (1358)

Posté par sourcesmedievales le 8 avril 2008

xive.jpg« […] Assez tôt après, environ la Pentecôte, advint une merveilleuse tribulation en plusieurs parties du royaume de France : en Beauvaisis, en Amiénois, en Brie, en Perthois, en France et en Valois jusqu’à Soissons, car des gens des villages s’assemblèrent partout, sans chef ; ils ne furent d’abord pas cent, mais ils dirent que les nobles chevaliers et écuyers honnissaient et gâtaient le royaume, et que ce serait bien fait que de les détruire tous.
Ainsi, premièrement, s’en allèrent, sans autre dessein, sans autres armes que bâtons ferrés et couteaux en la maison d’un chevalier ; ils forcèrent son hôtel et le tuèrent avec sa femme et ses enfants, puis brûlèrent sa demeure. Après, ils allèrent à un fort château et firent pire, car ils prirent le chevalier, le lièrent étroitement à un poteau et sous ses yeux violèrent la dame et la fille, puis tuèrent la dame enceinte et la fille puis le chevalier et tous les enfants et brûlèrent le château. Ainsi firent-ils en plusieurs châteaux et bonnes maisons ; ils se multiplièrent tant qu’ils furent bien six mille. Partout où ils allaient, leur nombre croissait car les suivait chacun qui était de leur opinion. Chevaliers et dames, écuyers et demoiselles s’enfuyaient partout où ils pouvaient, dix ou vingt lieues plus loin, emportant souvent à leur col leurs petits enfants, laissant leurs manoirs et leurs châteaux. Ainsi, ces gens assemblés sans chef, brûlaient et volaient tout et assassinaient gentilshommes, nobles femmes et leurs enfants et violaient dames et pucelles sans miséricorde aucune.


Certes, entre chrétiens et sarrasins n’advint jamais rage si désordonnée, ni si diablesse. Car celui qui faisait le plus de maux et de vilenies, tels que créature humaine ne les pourrait penser sans honte, devenait le maître.
Je n’oserai écrire ni raconter les horreurs qui subirent les dames ; entre autres ils tuèrent un chevalier, le mirent en broche et le rôtirent sous les yeux de la dame et des enfants. Après que dix ou douze eurent violenté la dame, ils lui en voulurent faire manger de force puis la firent mourir de male mort. Ils brûlèrent et abattirent en Beauvaisis plus de soixante bonnes maisons et forts châteaux ; et si Dieu n’y eut mis remède par sa grâce, le mal se serait si multiplié que nobles, Sainte Église et riches gens par tous pays eussent été détruits. De cette manière agissaient les gens de Brie et de Perthois sur la rivière de Marne. Tous les nobles, chevaliers, écuyers, dames et demoiselles qui purent s’échapper, certains en chemise, s’enfuirent à Meaux en Brie. »

Jean Le Bel, Vrayes chroniques, éd. Viard et Deprez, Paris, 1904-1905, II, p. 255-257 ; extrait de M. Mollat, Genèse médiévale de la France moderne, Paris, 1970, p. 58-59.

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